Sosa :1
  • Né le 2 novembre 1842 (mercredi) - Quimper, 29232, Finistère, Bretagne, France
  • Décédé le 13 juillet 1917 (vendredi) - Versailles, 78646, Yvelines, Île-de-France, France,à l'âge de 74 ans
  • Membre de la Cour des Comptes., Conseiller à la Cour des comptes

 Parents

 Union(s) et enfant(s)

 Fratrie

 Notes

Notes individuelles

Conseiller référendaire à la Cour des comptes, chevalier de la Légiond'honneur.

LE SIÈGE DE PARIS ET LA COMMUNE
SOUVENIRS PERSONNELS
Au début de la guerre de 1870, quand fut organisée la garde nationale Mobile, un de mes frères m'avait proposé un grade dans le cinquième bataillon du Finistère, dont il était le commandant.
Mes fonctions de chef du secrétariat de M. de Rayer, premier présidentde la Cour des comptes, ne me permettant pas de m'éloigner de Paris, j'avais dû, à mon très grand regret, refuser cette proposition.
Cependant, après les premiers revers de nos armées, il me sembla qu'il étaitde mon devoir de prendre ma modeste part ù là défense de mon pays contre l'invasion étrangère.
• Désireux de commencer immédiatement mou instruction militaire, j'allai chez le général d'Auternarre d'Ervillé, commandant én chef de la garde nationale de la Seine. Mon père, qui avait été son camarade à l'Ecole de Saint-Cyr sous la Restauration, m'avait conduit chez lui, quand j'étais venu faire- mes éludes de droit à Paris. Le général m'avait alors reçu avec beaucoup de bienveillance etdepuis il m'avait toujours témoigné un réel intérêt.. Dès que je lui eus fait connaître mon désir, il l'approuva vivement et il me remit unelettre de recommandation pour le colonel Valentin, commandant le régiment des gardes de Paris. Sur le Vu de cette lettre, le colonel m'autorisa à venir, tous les matins, à la caserne de la Cité, où j'appris, avec quelques autres jeunes gens, l'école du soldat et l'école du peloton.
Le ' septembre était un dimanche. Quand je voulus rentrer chez moiaprès déjeuner, je trouvai le quai d'Orsay barré, à lahauteur de la rue de Solférino, par des sergents de ville et des gardes municipaux àcheval. On me permit pourtant de passer sur mon allégation que j'habitais quelques pas plus-loin. L'appartement de garçon que j'occupais aunuméro 17 du quai d'Orsay, dans une partie du rez-de-chaussée d'un hôtel particulier, ouvrait, par une porte-fenêtre, sur une terrasse allant jusqu'au trottoir. De là, je vis les sergents de ville et les gardesmunicipaux 'se ranger le long du quai et rendre libre la circulation.Aussitôt un véritable flot populaire commença à couler clans la direction du Corps législatif. Au bout d'une heure environ, le flot refluaen sens inverse. La foule criait : ± Vive la République! A l'Hôtel.deVille! » Beaecoup d'hommes agitaient joyeusement en l'air des branchesd'arbustes ! ils en accrochaient les feuilles aux harnais des chevauxdes gardes municipaux. Puis le quai redevint à. peu près désert. Je venais de rentrer chez moi quand arriva un de nies amis, le baron Armaide Wismes, alors attaché au ministère des affaires étrangères.
± Vousavez vu passer la Révolution? » me dit-il en entrant. ± Oui, lui répondis-je. Tous ces gens manifestaient une joie délirante, comme si nousvenions de remporter une grande victoire. Je les ai entendus crier :A l'Hôtel de Ville. Voulez-vous venir voir ce qui s'y passe? » Mon amiaccepta cette proposition et nous sortîmes aussitôt.
Dans le jardin des Tuileries, de paisibles familles se promenaient, indifférentes à cequi se passait ailleurs et uniquement occupées à jouir d'une belle journée de dimanche. Mais la partie du jardin jusque-là réservée à la famille impériale était ouverte. Egalernent ouvertes toutes les portes du palais. Entrait qui voulait. Nous ne fîmes que passer, afin d'arriver le plus tôt possible à l'Hôtel de Ville. Sur la place et dans les rues environnantes, une foule compacte acclamait les noms de ses candidats pour le nouveau gouvernement, spécialement celui de Rochefort qu'onétait allé chercher à la prison où il subissait une condamnation récente. Conduit triomphalement à l'Hôtel de Ville, il fut, à son arrivée,l'objet d'une ovation enthousiaste. Soudain, des papiers, lancés d'une fenêtre da palais, apprirent au peuple les noms de ses maîtres improvisés. Les manifestants quittèrent peu à peu la place de l'Hôtel de Ville. La révolution était terminée sans avoir rencontré aucune résistance.
J'avais appris que le commandant du bataillon de la garde nationale qui se formait dans mon quartier était M. de Crisenoy.ancien officier de marine démissionnaire. Autorisé par le premier président, j'allailui exprimer mon désir de m'enrôler dans son bataillon. Il me proposad'entrer dans une compagnie d'élite qu'il voulait créer. ± Elle seraarmée, me dit-il, avec des carabines à tir rapide que m'a promises leministère de la guerre et elle s'appellera, pour ce motif, la

compagnie des carabiniers du 17e bataillon. Ce sera mon bélier. Où il passera,. suivra tout le troupeau. » Je m'empressai d'accepter cette proposition.
Le capitaine de cette Compagnie s'appelait M. Goulouzelle. C'était un sous-officier retraité qui exerçait la profession de bottier dans le faubourg Saint-Germain. Quelques jours après mon incorporation.dans la compagnie, je commandai à mon capitaine une paire de bottes pourlaquelle il me prit mesures après l'exercice et qu'il me livra très rapidement. J'ai porté ces bottes pendant tout le siège. C'était de labien bonne marchandise.
La compagnie se réunit d'abord dans les jardins de l'hôtel de Luynes, rue Saint-Dominique, mais, au bout de quelquesjours, elle alla faire l'exercice sur l'Esplanade des Invalides, pendant deux heures, tous les matins et tous les soirs.
Dès le il septembre, ou nous envoya aux fortifications. Nous devions occuper le bastionn´ 72 situé à la porte de Versailles. Mais rien n'avait été préparé pour nous recevoir et il n'était pas possible de camper sur ce bastion.Notre commandant nous conduisit alors au collège des Pères Jésuites, situé à l'extrémité de la rue de Vaugirard. Sur sa demande, les Pères s'empressèrent de mettre à notre disposition les salles et les cours deleur établissement. Ils nous firent même apporter tout ce dont nous.avions besoin, tables, bancs, matelas, etc.
Toute l'après-midi fut occupée par une reconnaissance dans les villages d'Issy et de Clamart, que nous devions défendre en cas d'attaque par l'armée prussienne.
Le soir venu, je fis partie d'une ronde qui devait voir comment se faisaitle service des sentinelles placées sur la partie des fortifications confiée à notre bataillon. Les gardes nationaux, nullement habitués à cemétier, n'observaient aucune des instructions qui leur avaient été données. Les uns criaient le mot d'ordre de toutes leurs forces dès qu'ils apercevaient la ronde ; la plupart d'entre eux ne répondaient rienà nos ± qui vive? » Plusieurs étaient endormis, d'autres étaient ivres. L'officier qui dirigeait la patrouille était désolé de ce qu'il voyait et se demandait avec inquiétude ce que feraient de pareilles troupes eu présence de l'ennemi.
Tous les trois jours, nous retournions à cemême bastion 72, qui fut rapidement armé de grosses pièces d'artillerie. On y dressades tentes, afin de nous abriter dans l'intervalle desfactions. Comme la paille fut supprimée au bout de peu de jours, ces tentes étaient froides et humides. De plus, les entrées et les sortiesdes hommes appelés pour les factions, les conversations, les plaisanteries des loustics ne permettaient .guère d'y dormir. Aussi la plupartd'entre nous préféraient aller se chauffer autour des braseros alluméssur le bastion.
Quand je n'étais pas pris par le service militaire, je retournais à mes occupations habituelles à la Cour des comptes. Mais, le dimanche, j'allais souvent voir mon frère et les nombreux amis que j'avais dans le bataillon des mobiles de Quimper. Arrivé é Paris ,très peu de jours avant l'investissement, ce bataillon avait été armé etéquipé à la caserne du Prince Eugène, actuellement caserne du Château- d'Eau, et il avait été envoyé aussitôt après aux avant-postes, du côté de Montrouge.
Un jour, nous limes, 11.1011 frère et moi, une longuepromenade aux environs dans la voilure du marquis de Plceuc, alors sous- gouverneur de la Banque de France. Elle commença par Arcueil-Cachan. Nous étions à 600 mètres environ des tranchées ennemies. Avec une jumelle on nous fit voir une sentinelle qui se dissimulait de sen mieuxderrière un arbre. Quelqu'un peoposa de tirer sur ce soldat isolé, amis on l'en empêcha. J'avoue Glue j'en fus très satisfait. Nous pénétrâmes dans plusieurs belles villas, abandonnées et démeublées par leurspropriétaires. Cependant l'une d'elles, appartenant à M. Gagelin, marchand de cachemires dans la rue de Richelieu, avait conservé tout son mobilier. Mais dans quel état il était! Des lanières. avaient été découpées dans les étoffes recouvrant les fauteuils et les canapés ; des coups de crosse de fusil avaient brisé les glaces; les cadres pendaientvides le long des murs; les objets d'art, mis en morceaux, avaient étéjetés sur les planchers. Nous étions indignés à la vue de ces actes de vandalisme commis par des Français clans une maison française.

Lesmembres du gouvernement du 4, septembre n'avaient pas seulement à défendre Paris contre l'armée allemande; ils avaient à se défendre eux-mêmes contre une partie de leurs anciens amis dont l'unique occupation pendant le siège fut de chercher une occasion favorable pour les renverser et les remplacer.
La plus importante de ces tentatives révolutionnaires fut celle du 31 octobre. Ce soir là, au moment oïl je rentrais chez moi, leconcierge me prévint que mon bataillon avait été convoqué pour aller délivrer le gouvernement, prisonnier des insurgés dans l'Hôtel de Ville. Je partis aussitôt après avoir pris ma carabine. A l'entrée du pont de Solférino, je trouvai un jalonneur, chargé de diriger leshommes vers la place Vendôme. Les 15e et 17e bataillons étaient venusy chercher des ordres, à l'état-major de la gardé nationale. Mais personne ne voulut en donner-. Il en fut de même au Louvre, à l'état-major du général Trochu: Les commandants de nos deux bataillons se décidèrent alors à marcher de leur propre initiative, et ils nous conduisirent derrière l'Hôtel de Ville à la porte de la place Lobau. Cette porteétait poussée, mais n'était pas fermée. Les insurgés, qui la gardaient, reconnaissant à qui ils avaient affaire, voulurent nous empédher d'entrer. Mais, surun ordre de notre commandant, la compagnie des carabiniers exécuta une. poussée si vigoureuse que la porte s'ouvrit toute grande. En arrière, sous la voûte et sur le grand escalier conduisant aupremier étage, se tenaient des hommes dont les képis portaient soit un bonnet phrygien, soit les deux lettres V. T. Les premiers étaient des Bellevillois, commandés par Flourens; les seconds étaient des Italiens, dont le chef s'appelait Tibaldi et qui étaient connus sous le nomde Volontaires Tibaldiens. Repoussant tous ces hommes à droite et à gauche, nous montons rapidement au premier étage, nous envahissons plusieurs pièces, dans lesquelles nous arrêtons successivement Ramier, .Tibaldi et Blanqui. Les deux premiers n'opposent aucune résistance. Blanqui, au contraire, se défend énergiquement, se jette à terre, se fait traîner et est à moitié déshabillé dans une lutte désespérée. Son journal du lendemain contient le récit très dramatisé ± des brutalités desmarguilliers du 17e bataillon ». Presque au même moment passe devant moi notre commandant, l'air soucieux et préoccupé. On vient de lui apprendre que la porte de l'Hôtel de Ville a été refermée derrière nous, le (be bataillon ne nous ayant Os suivis assez rapidement, et que noussommes seuls contre plusieurs bataillons insurgés qui gardent toutes les issues du palais. Nous entendons un coup de feu, M. de Crisenoy nous crie de sa voix la plus forte : ± Messieurs, ne tirez sous aucun prétexte. » Un de nous lui apporte un papier qu'il vient de saisir entreles mains d'un de nos prisonniers, officier au 138e bataillon. M. de Grisenoy reconnaît que c'est uu laissez-passer délivré par Blanqui à cebataillon, acquis aux insurgés. Il nous réunit au plus vite et nous fait descendre l'escalier opposé à celui par lequel nous étions montés.Sur le vu -du laissez-passer, portant la signature de Blanqui, la porte principale, donnant sur la place de l'Hôtel de Ville, nous est ouverte par ses gardiens. Ainsi redevenus libres, nous retournons au Louvre, où le général Trochu avait été ramené par le 106" bataillon, qui l'avait enlevé et emmené, sans se soucier des autres membres du gouvernement au milieu desquels il se trouvait. Notre arrivée fut une surprisepour tout le monde, car on avait annoncé dans Paris que le .17e bataillon était prisonnier des révolutionnaires à l'intérieur de l'Hôtel deVille. Je me suis. borné à raconter le rôle joué par le 17" bataillonpendant cette triste soirée... Je voudrais pourtant rappeler un mot peu connu, je crois, d'un des chefs de l'insurrection, parce qu'il estsingulièrement suggestif. Arrêté le lendemain et conduit pour être interrogé devant les membres assemblés du gouvernement, il s'était tournévers l'un d'eux et lui avait dit : ± Quel dommage, mon cher ami, queje sois ton prisonnier I Tu aurais été mon avocat. »Les journaux ne cessaient de répéter que la garde nationale ne devait pas être uniquement affectée à la garde des remparts, qu'il en envoyer la partie la plusjeune aux avant-postes, avec l'armée active et la mobile. Le gouvernement mit peu d'empressement à suivre ce conseil. Cependant, vers le milieu d'octobre, parut un décret qui ordonnait la formation, par voie d'engagements volontaires, de bataillons de guerre, recrutés dans la garde nationale. Les engagements furent peu nombreux, 20 000 environ. Lacompagnie dei carabiniers du 17e bataillon s'engagea tout entière, le20 octobre, à la mairie du VII" arrondissement. Cette compagnie comprenait les éléments les plus divers : des vieillards et des jeunes gensde moins de vingt ans, des hommes appartenant aux premières famillesde l'aristocratie française, des membres du Conseil d'Etat, de la Courdes comptes et de la magistrature, des avocats, des médecins, des commerçants, des domestiques engagés en même temps que leurs maîtres, descultivateurs des environs de Coulommiers, venus quelques jours avantl'investissement pour concourir à la défense rie Paris.Le doyen d'âgede la compagnie était un conseiller référendaire honoraire à la Cour des comptes, M. du Lac de Fugères. Bien qu'âgé de soixante-sept ans, iltenait à partager toutes les corvées et toutes les fatigues de ses frères d'armes. Nais comme ses bras auraient eu de la peine à porter longtemps notre lourde carabine à répétition, il était armé d'un simple fusil de chasse.Le premier décret relatif à la mobilisation d'une partie de la garde nationale par voie d'engagements volontaires ayant produit des résultats très insuffisants, un second décret prescrivit des mesures pour recruter dans la garde nationale des régiments de guerre, dits régiments de Paris. La compagnie des carabiniers du 17' bataillonfut incorporée dans le 9e de ces régiments. Le dimanche 27 novembre, la compagnie assista tout entière, en uniforme, à une messe célébrée àSaint-Thomas d'Aquin par le P. Penaud, de l'Oratoire. Après la messe,elle fut passée en revue sur l'Esplanade des Invalides. Le lendemain matin, 28 novembre, elle tut envoyée aux avant- postes. Le maire et lesadjoints nous accompagnèrent jusqu'aux limites du VIP arrondissement.Les compagnies sédentaires ne nous quittèrent qu'à la barrière d'Italie. Sur notre passage, nous étions partout acclamés et félicités. Après avoir marché jusqu'à la nuit, nous fimeS halte en rase campagne. Jefus placé en sentinelle avancée à une assez grande distance. La nuit,très noire, ne permettait de rien distinguer à quelques pas. Après unelongue faction, étonné de n'avoir pas encore été relevé, n'entendantplus aucun bruit, je revins à l'endroit où nous avions fait halte. Iln'y avait plus personne. J'eus beaucoup de peine à retrouver ma compagnie, qui avait été envoyée dans une autre direction. Le caporal de monescouade était M. Albert Gigot, avocat au Conseil d'Etat et à la Courde cassation, qui a été, après la guerre, préfet clans plusieurs départements et préfet de police de Paris. ll me lit beaucoup d'excuses dem'avoir oublié, ans un départ très précipité.» Nous arrivions aux avant-postes à la veille des importantes batailles qui se sont livrées, sous Paris, les 30 novembre, 2 et 3 décembre.Le rôle de notre compagniefut, sinon très meurtrier, du moins très actif pendant ces journées,principalement pendant celle du 2 décembre, où on nous fit marcher surChoisy- le-Roi. -Un détachement de marins nous précédait. Deux locomotives blindées, portant- chacune un canon de gros calibre, circulaientà nos côtés, sur la voie du chemin de fer. Elles attiraient beaucoupl'attention des Prussiens qui firent, à plusieurs reprises, tomber avec un fracas épouvantable des projectiles sur ces masses de fer roulantes. Quelques artilleurs furent tués ou blessés. Les marins perdirent aussi plusieurs des hommes qui avaient été lancés sur la gare aux boeufs, en avant de Choisy. Les Allemands envoyèrent dans notre direction un grand .nombre d'obus. Ils passèrent en sifflant au-dessus de nos tûtes; mais, par suite d'un tir trop long, ils éclatèrent derrière nos lignes sans nous atteindre. Vers midi arriva l'ordre de revenir en arrière. On nous permit de faire le café. Comme nous n'avions pas mangé depuis notre départ de Vitry, à 3 heures du matin, tout le monde s'y mitavec empressement, mais les préparatifs étaient à peine commencés quesurvint l'ordre de partir immédiatement. Il fallut renverser les marmites et se mettre en route. La bataille était dans son plein. Tous lesforts tonnaient à la fois. En face de nous, à Montmesly; sur notre gauche, à Charnpigny et à Créteil, se faisaient entendre les salves de l'artillerie, le crépitement des mitrailleuses et les feux de peloton del'infanterie._ Suivant que ces bruits se rapprochaient ou s'éloignaient, je me figurais que nos troupes avançaient ou perdaient du terrain.Je me demandais avec anxiété comment tournait cette bataille, évidemment décisive pour l'avenir de Paris et préparée pendant plusieurs mois. L'après-midi se passa à avancer péniblement à travers champs. Il était déjà nuit quand nous rejoignîmes une batterie d'artillerie qui avait reçu l'ordre de cesser le feu et qui dételait. On nous ramena à notre cantonnement, harassés de fatigue et n'ayant pas mangé de toute la journée. Nous espérions nous restaurer en arrivant à Vitry. En effet, le matin, un homme de chaque escouade était resté pour préparer le repas du soir. Notre caporal avait désigné à cet effet un brave Alsacien,nommé Tus*, valet de chambre de M._ qui s'était engagé dans notre compagnie au même temps que son maitre. Mais Tusch avait protesté très vive- meut contre cette désignation.± Je suis Alsacien, s'était-il écrié.Je me suis engagé pour me battre. Ce n'est pas aujourd'hui, où cela va chauffer tort, que je resterai ici à faire la soupe. Je ne puis pourtant pas le demander à votre maître », avait répondu M. Albert Gigot.± est certain, fit observer M..., que je serais bien embarrassé pourle faire et que je ne saurais pas comment m'y prendre, Oh! reprit Tusch, Monsieur n'aura presque rien à faire. Je mettrai tout ce qu'il faudra dans la marmite. Monsieur entretiendra dessous un feu très doux etla soupe se fera toute seule. » Toute l'escouade, intéressée par ce colloque, intervint en faveur du brave Alsacien, qui avait tellement envie d'aller se battre contre les Prussiens. L'autorisation lui en futaccordée, à condition que son maitre le remplacerait ce jour-lé. Le soir, aussitôt rentré dans la chambrée, Tusch court à la marmite, lève le couvercle et pousse un cri d'effroi. Nous nous approchons tous et nous apercevons une sorte de boue noirâtre, remuant lourdement fond de la marmite.Notre cuisinier improvisé avait suivi trop à la lettre les instruc- Lions de son valet de chambre. Il avait entretenu le feu sousla marmite, mais pendant si longtemps que tout le contenu s'était peuà peu évaporé. Itnous fallut, ce soir-là, dinar avec un morceau de pain et un verre de vin. La journée du 3 décembre se passa pour nous en marches et en contremarches. Le lendemain matin, M. de Crisenoy me fitappeler chez lui. Il avait entendu dire que mon frère avait été blesséle 29 novembre dans une attaque dirigée, par le général Vinoy, contreles hauteurs de Il m'engagea à aller m'assurer de la réalité de ce bruit, dont il me dit n'être nullement certain. J'appris à Montrouge quemon frère était sain et sauf, que l'officier blessé était M. de Réais, commandant d'un autre bataillon du Finistère et que les mobiles de Quimper étaient en marche pour rentrer dans leurs cantonnements. En allant au devant d'eux, mon attention fut attirée sur leur aumônier, M. l'abbé du Marallac'h. Une balle avait traversé son chapeau, plusieurs autres balles avaient mis sa soutane en lambeaux. Mais il marchait allègrement Dernier descendant d'une très ancienne famille bretonne, M. duMarallac'h était entré tard dans les ordres, après avoir eu la douleur de perdre sa femme et ses enfants. Il avait été autorisé, sur sa demande, à accompagner à Paris le bataillon des mobiles de Quimper, où setrouvaient plusieurs de ses proches parents. Pendant tout le siège, son temps se passa à soigner les malades dans les hôpitaux. Mais, le 29novembre, il était resté constamment sur le champ de bataille, courant auprès des blessés dans les endroits les plus dangereux et ne paraissant pas se soucier des balles qui pleuvaient autour de lui. Le général Vinoy avait admiré l'héroïque dévouement de ce prêtre. Il demanda etobtint pour lui la croix de la Légion d'honneur. D'une extrême modestie, M. l'abbé du Marallael n'a jamais porté cette décoration. Je croismême qu'il n'en a parlé qu'une seule fois. Dans une lettre adressée par lui, après l'armistice, à son beau-frère, le comte de Carné, membrede l'Académie française, il écrivit cette simple phrase : Il s'est produit dans mon ambulance un cas de décoration, c'est moi qui en ai étéatteint. » Ses compatriotes reconnaissants le nommèrent député à l'Assemblée nationale. Il y resta peu de temps, donna sa démission et allahabiter aux îles Glénans, situées en face des côtes du sud Finistère.Il y vécut au milieu des marins qui pêchent dans ees parages déserts,jusqu'au jour ´M'évêque d e Quimper le nomma, sans le consulter, vicaire général du diocèse. Il obéit non sans résistance et sans regrets et finit sa vie à Quimper, entouré de la vénération générale. Le 8 décembre, on nous fit revenir à Paris, mais, dès le 11, nous recevions l'ordre de retourner à Vitry. Les plaintes les plus vives avaient été formées par l'autorité militaire contre le bataillon de la garde nationale qui nous avait remplacés. L'intempérance et l'indiscipline de la plupart des hommes qui le composaient ne permettaient pas de les laisser,sans danger pour la défense, en contact direct avec l'ennemi. Notre second séjour à Vitry dura jusqu'au 30 décembre, époque où le bombardement en rendit l'occupation impossible. Ce furent de bien dures journées. L'hiver était d'une rigueur exceptionnelle. Le thermomètre descendit au dessous de 15 degrés. Je me rappelle avoir fait, clans la nuit deNoé', une faction pendant laquelle ma respiration formait de petits glaçons sur ma barbe. • Tous les trois jours, nous passions vingt-quatre heures dans les tranchées, creusées en avant de Vitry, à 150 mètresenviron des ennemis. Il arrivait souvent que leurs balles, lancées pardes fusils à longue portée, dits fusils de remparts, enfilaient nos tranchées avec un sifflement pareil au bourdonnement d'un gros frelon.Aussi nous avait-il été interdit de faire du feu. Les cas de congé_ lation étaient fréquents. Si j'y ai échappé, c'est sans doute grâce auxexcellentes bottes de mon capitaine, avec lesquelles je piétinais surplace pour me réchauffer. Vers cinq heures du matin, on venait nous relever. Nous partions dans l'obscurité la plus complète et clans le silence le plus rigoureux, pour ne pas appeler l'attention de nos voisins, les Prussiens. Malgré la bonne volonté des hommes de notre compagnie, beaucoup d'entre eux furent obligés de retourner dans Paris, parce que leur santé ne leur permettait pas de supporter un service aussi pénible et une température aussi rigoureuse. De ce nombre fut le caporalde notre escouade. Je fus chargé de le remplacer pendant. son absence.Quand nous n'étions pas de service dans les tranchées, la question denourriture était le principal objet de nos préoccupations. Nous recevions de l'intendance militaire les vivres de campagne nt nous faisionsvenir de Paris, chaque fois que nous le pouvions, des conserves qui complétaient et amélioraient notre ordinaire. Aussitôt réveillé, notrecuisinier Tusch allumait le feu dans la chambre que nous habitions chez le notaire de Vitry, à l'aide de papiers qu'il avait découverts dansun coin de la maison. Mais un jour, mon voisin de chambrée, M. Maurice de Lalain-Chomel, alors juge suppléant au tribunal de la Seine, eutla curiosité de regarder ce qu'étaient ces papiers : ± Voyez donc, medit-il, ce sont les minutes du notaire! » On interdit an pauvre Tuscli, qui en fut désolé, de brêler des papiers d'une telle importance. Ilnous fit, pendant plusieurs jours, de très bon café au lait. L'un de nous avait déCouvert dans la campagne un paysan, propriétaire d'une chèvre. ll allait eu acheter le lait de très bonne heure et il l'apportait à Tuscli pour notre petit déjeuner. Ceux-là seuls, qui ont vécu à Paris pendant le siège, peuvent comprendre l'importance que l'on attachait alors aux questions de nourriture. Le café au lait de la 4:e escouade fut bientôt l'objet des conversations de toute la compagnie. Notrecamarade fut suivi; la maison où était la chèvre fut trouvée et la pauvre bête, achetée pour le mess des officiers, fut mangée par eux pendant le réveillon de Noël. Le 30 décembre, nous quittâmes définitivementVitry pour rentrer dans Paris. Nous allions y passer le lugubre moisde janvier 1871. Pendant le jour, c'était un ciel gris, avec de la neige ou du brouillard, un froid très rigoureux dont on ne pouvait pas sedéfendre, faute de combustible. Les rues et les boulevards, les plusfréquentés d'habitude, étaient presque déserts. Il n'y avait phis de voitures, presque tous les chevaux ayant été mangés. Les passants mêmeétaient rares. Le soir venu, les becs de gaz éteints et les magasins fermés laissaient la ville dans une obscurité à peu près complète. Quelques réverbères au pétrole dirigeaient seuls, à de longs intervalles,ceux que l'ennui et le froid chassaient de leurs demeures. Depuis plusieurs mois nous étions sans nouvelles de nos familles. L'incertitude sur leur sort a été une des plus cruelles souffrances de la fin du siège. Nous ne correspondions plus avec la province que par ballons et parpigeons voyageurs. L'administration des postes acceptait les lettresprivées, dont le poids avait été très limité, et qui devaient porter la mention : ± par ballon monté ». Mais ces lettres arrivaient-elles àdestination? Nous ne pouvions pas en être informés. Quant aux pigeonsvoyageurs, je ne saurais dire s'il en est rentré plusieurs dans Paris;mais je ne l'ai appris qu'une seule fois. L'ordonnance de mon frère inc dit un jour : ± Il est arrivé au bataillon des nouvelles du pays par pigeon monté. » Cc brave paysan confondait les ballons et les pigeons. Ni mon frère, ni moi ne mines parmi les rares favorisés qui reçurent ainsi quelques mots de leurs familles. La nourriture diminuait chaque jour comme quantité et qualité. Le pain était devenu une chose abominable dont la farine était de plus en plus absente. Encore était-il très difficile d'en avoir, si ce n'est en faisant la queue à la porte des mairies. Les rares restaurants, restés ouverts, n'en vendaient pas.Il fallait apporter son. pain avec soi. Le matin, je déjeunais chez moi, avec les rations que ina femme de ménage avait touchées à la mairiedu Vile, sur la présentation de ma carte individuelle. Le soir, je dinais de côté ou d'autre. Ce repas devint de plus en plus extraordinaire, lorsque les vivres commencèrent à disparaître. La carte d'un restaurant de la place de la Madeleine, où je dinais souvent, a porté, pendant plusieurs semaines, un plat nommé : ± Rats sautés à la Masséna en souvenir du siège de Gènes. Ce n'était pas mauvais, surtout la sauce. .• On vendait aussi, dans certains restaurants, sous la désignation detete de veau ou de croquettes, de l'osséine, denrée soi-disant alimentaire, fabriquée par le chimiste Sainte-Claire Deville avec des os fondus. La viande de cheval, la seule, que l'on pouvait encore se procurer, finit par devenir détestable, parce que ces pauvres animaux étaientà moitié morts de faim quand on lés livrait à la consommation. Pendant la durée du siège, j'ai souvent dîné avec des_ amis, soit pour le seul plaisir de manger en leur compagnie notre ration du cheval municipal, soit pour prendre part à une trouvaille exceptionnelle. Je nie rappelle un (liner dont les plats; aussi nombreux qu'excellents, avaient tous été faits avec un cochon qu'un de mes amis avait découvert je ne sais on et qu'il avait fait tuer en cachette dans la cour de son hôtel,parce que toutes les denrées étalent alors réquisitionnées. Quand leJardin des plantes fat obligé de vendre ses animaux, n'ayant plus le moyen de les nourrir, j'ai été invité deux fois à manger de l'éléphant.La trompe est un morceau délicat, mais la chair de cet itnimal, dontles fibres sont très grosses, se mâche difficilement et a un goût désagréable. Le dernier de Mea (liners en ville eut lieu le jour des Rois,chez M. Gosset, conseiller référendaire à la Cour des comptes. Il avait inité une vingtaine de ses collègues, auxquels il servit les mets les plus inattendus pour l'époque. [ne salade de laitue excita spécialement l'étonnement et l'admiration des invités. Chacun de nous reçut enpartant ou un pâté ou une bûche, à son choix, en guise d'étrennes. Pendant tout le mois de janvier les Prussiens bombardèrent Paris, tuantquelques habitants, dégradant quelques maisons, mais produisant peu d'effet sur les assiégés qui s'habituèrent vite à cette sinistre musique. Ma maison reçut un obus qui alla se loger au deuxième étage dans unlit fort moelleux où il s'enfonça sans éclater. Le concierge, homme très prudent, le fit noyer par les pompiers. Le 22 janvier, notre compagnie fut encore appelée à réprimer une nouvelle tentative d'émeute quin'eut pas une grande importance. Cependant on nous retint sur la ptacede l'Hôtel de Ville pendant toute la journée et la plus grande partiede la nuit. Enfin, le 15 mars, nous fut envoyé un ordre de réunion pour le 18, à dix heures et demie du matin. Cet ordre de service portaitles mois : ± On ne sortira pas pour déjeuner et on recevra trois jours de vivres, » . ll en résulte que, dès le 15, le gouvernement savaitqu'une émeute devait avoir lieu te 18 et avait pris des dispositions pour y résister. La plupart d'entre nous, ceux du moins qui étaient restés à Paris après l'armistice, se rendirent le 18 mars à la convocation qu'ils avaient reçue. Mais aucun ordre ne fut envoyé à nos officierspendant toute la journée, et à six heures du soir ils nous renvoyèrent chez nous. Le lendemain, les journaux apprenaient à la France le triomphe de l'insurrection, l'assassinat des généraux Lecomte et ClémentThotnaà, le départ précipité de M. Thiers pour Versailles et la constitution de la Commune de Paris. Un des premiers actes du Comité révolutionnaire, dont. Blanqui était le président, fut de condamner à mort les officiers de notre bataillon. Blanqui n'avait pas oublié la soirée du 31 octobre. À la fin 'de la journée du 20 mars, M. le Premier Président de noyer écrivit au ministre des finances, M. Pouyer-Quertier, pour lui demander quelles instructions il devait donner aux membres de laCour des comptes dans les circonstances présentes. En qualité de chefde son secrétariat, je fus chargé de porter cette lettre au ministreet de revenir dès que j'aurais obtenu sa réponse. Je partis le soir même pour Versailles. A la gare Montparnasse, je rencontrai mon ami Saint-Raymond, auditeur à la Cour des comptes, qui avait été sergent dansla compagnie des carabiniers du 11 bataillon de la garde nationale. Itaccepta de m'accompagner dans inca courses à la recherche de M. Pouyer-Quertier. J'allai tout d'abord demander son adresse au directeur despostes de Versailles. Celui-ci me répondit qu'il ne le savait pas plus que moi, que les députés à l'Assemblée nationale, les membres du gouvernement et les chefs des administrations publiques arrivaient en foule à Versailles depuis deux ou trois jours, qu'ils se logeaient commeils pouvaient et qu'ils n'avaient pas indiqué à son administration leurs adresses, sans doute parce que leurs domiciles étaient encore provisoires. Il m'engagea à aller au télégraphe, où je trouverais peut-êtrele renseignement que je désirais. Ces deux services n'étaient pas réunis à cette époque. J'appris, en effet, au télégraphe, que M. Pouyer-Quertier habitait au n´ 2 de la rue de Pétigny, petite rue donnant danscelle des RéservOirs. Cette maison était un petit hôtel particulier.Une femme de chambre, qui m'en ouvrit la porte, répondit à mes questions que M. Pouyer-Quertier était sorti, qu'elle ne savait pas où il était ni quand il rentrerait et qu'il sortait de chez lui tous les matinsà six heures. Il était trop tard et ces réponses étaient trop vaguespour que nous pussions revenir le soir même. Nous nous mimes à la recherche d'un gîte pour la nuit. Dans tous les hôtels, absolument encombrés, il n'était plus possible de recevoir personne. Nous allions à l'aventure, demandant aux concierges des maisons particulières s'ils ne pourraient pas nous loger pour la nuit et nous recevions partout le mêmemefus. Cependant un concierge, que nous avions aperçu devant la ported'une très belle habitation, répondit à notre demande que cette maison, habitée pendant la guerre par un général prussien et son état-major, était en réparations de la cave au grenier, qu'il ne s'y trouvait pas un seul meuble, mais qu'il nous laisserait volontiers coucher dans une chambre vide jusqu'au lendemain matin, si cela nous convenait. C'était encore préférable à la rue. Notre homme nous conduisit dans une chambre, 01:1 des seaux de peinture répandaient une odeur fort désagréable. Comme nous l'avions fait, pendant le siège, dans la maison du notaire de Vitry, nous noies étendimes tout habillés sur le plancher. Je dormis peu et ruai, ayant déjà perdu l'habitude de ce coucher peu confortable et étant poursuivi par la pensée de ne pas manquer le trop matinal ministre des finances. AnSsi, à 5 heures du matin, je réparai de mon mieux, avec le concours de l'obligeant concierge, le désordre de matoilette. A 5 h. 1./2, je sonne au n´ 2 de la rue de Pétigny. La mêmepersonne que la veille au soir vient ouvrir et me dit en souriant : sMonsieur est sorti. »- Je m'écrie ± Comment, déjà! Vous m'aviez dit hier que M. Pouyer-Quertier ne sortait qu'à six heures. » Elle me répond : ± Oui, en temps ordinaire, mais Monsieur est maintenant si occupéqu'il ne prend plus le temps de dormir. Il a dit en sortant qu'il allait au Palais. Vous l'y trouverez très probablement, » Je pars aussitôtpour le palais de Versailles. Toutes les portes étaient ouvertes. Surquelques-unes étaient attachées des feuilles de papier, portant les noms des .divers ministères, écrits à la main en gros caractères. On nevoyait pas un homme et on n'entendait pas un bruit dans cet .immensepalais qui paraissait abandonné. Pourtant, à l'entrée d'une grande salle, je suis frappé par cette inscription : ± Ministère des finances. »Je m'arrête et j'aperçois, tout au fond de la pièce, un homme écrivant devant une fenêtre. Je vais à lui et je lui demande s'il peut m'indiquer où est Pouyer-Quertier. ± C'est moi, me répond-il. Que voulez- vous ? Je suis chargé de remettre à Votre Excellence une lettre de M. lePremier Président de la Cour des comptes. » Après avoir lu cette lettre, il me dit : ± Vous arrivez très à propos. Le conseil des ministresva délibérer ce matin sur les ordres à donner aiix corps de l'Etal. Il se réunira à la préfecture de Seine-et-Oise. Soyez-y à midi. Je vousdonnerai une réponse pour M. le Premier Président. » Vers onze heures, j'allai attendre clans l'antichambre de la salle du Conseil. Un peuaprès midi, les ministres sortent rapidement et descendent l'escalierde la préfecture. Ayant reconnu M. PouyerQuartier, je cours après lui;mais, dès -que je commence à lui parler, .il m'interrompt en me disant : ± Ventre affamé n'a pas d'oreilles. Je vois écouterai, après avoirdéjeuné, à l'hôtel des Réservoirs. » J'allai donc déjeuner aussi auxRéservoirs,- mais c'était dans la grande salle à manger, tandis que les ministres se trouvaient dans un salon particulier. Es en sortirent sans que personne m'en avertit, comme je l'avais pourtant demandé. Ilss'étaient rendus directement à l'Assemblée nationale qui se réunissaitpour la première fois depuis son départ de Bordeaux. Il ne fallait pas songer à parler au ministre dans un pareil moment. Mais, ayant conscience du danger. que tous ces délais pouvaient faire courir à mon chef, pour lequel j'avais un absolu dévouement, je voulus tenter un nouveleffort afin d'atteindre le but que je poursuivais depuis la veille. Je dis à un huissier de chercher un fonctionnaire du ministère des finances qui pût faire parvenir au_ ministre une communication très urgente. Le chef du cabinet dù ministre, M. Ruau, se trouvait à l'Assembléenationale; il se rendit à mon appel. Je lui expliquai le but de mon voyage à Versailles, l'entrevue matinale que j'avais eue avec M. Pouyer-Quertier et tes graves raisons pour lesquelles j'étais pressé d'avoirune réponse à la lettre que je lui avais remise. M. Ruai' revint au bout d'une deini-heure, avec un arrêté ministériel qui prescrivait aux chefs de la Cour de venir à Versailles et autorisait les autres magistrats à continuer leurs travaux à Paris. Dès que je fus en possession dece document, je retournai au chemin de fer et j'arrivai enfin au domicile de M. de Bner, rue de Vaugirard, 56. Sa femme et ses enfants étaient dans une continuelle inquiétude, bien justifiée par les nombreusesarrestations qui se poursuivaient dans Paris depuis trois jours. Quant à lui, il avait persévéré courageusement, malgré tout, dans sa résolution de rester à son poste tant qu'il n'aurait pas reçu les ordres dugouvernement régulier de la France. Après mon retour, il réunit dansson cabinet, au palais d'Orsay, les présidents de chambre et le procureur général, afin de préparer avec eux un arrêté faisant connailre, aux membres de la cour la décision du ministre des finances. Il partit peu après pour Versailles, d'où il m'écrivit le lendemain, 22 mars, unelettre se terminant par cette phrase ± Je liens à vous remercier encore, mou cher monsieur, du soin et de l'activité que vous avez apportésdans l'exécution de votre mission à Versailles. » Les chefs de la Cour s'installèrent à Versailles, conformément à la décision du gouvernement. Mais la plupait des conseillais, profitant de la faculté qui leuravait été laissée, continuèrent, pendant quelques jours, leurs travaux ordinaires dans leurs cabinets du palais d'Orsay. Eh outre, tous lesservices administratifs, secrétariats, greffe, archives, matériel, service intérieur, estèrent à Paris. Le Premier Président organisa à Versailles un bureau dans lequel il recevait et travaillait. Sur la demande du Ministre des finances, plusieurs conseillers référendaires furent attachés aux Commissions créées par l'Assemblée nationale, spécialement à la Commission de revision des marchés de la grierre. Ils y ont rendu de longs et importants services. Tous les matins j'allais prendreles ordres que le Premier Président voulait faire parvenir à Paris etje revenais, tous les soirs, à Versailles. J'ai pu faire ces voyagesen chemin de fer jusqu'au 2 avril inclusivement. Quelques jours avantla fin du mois de mars, le Premier Président se préoccupa de la manière dont pourraient être payés les traitements des magistrats et des employés habitant Paris. Il medemanda de l'accompagner chez M. Thomas, caissier payeur central du Trésor public, que le gouvernement avait faitvenir à Versailles après le t7 mars, comme tous les chefs de servicedépendant du Ministère des finances. M. Thomas, interrogé sur la possibilité de faire payer à Paris les traitements de la Cour des comptes,répondit :Les quatre entreposeursde tabac continuent leurs fonctions àl'insu des membres de la Commune. Ils livrent tous les matins les marchandises que leur demandent les débitants et à midi ils envoient à Versailles le montant de leurs recettes journalières. Je donnerai l'ordre à l'un de ces entreposeurs de verser à la personne que vous m'aurezdésignée la somme qui vous sera nécessaire. » Il fut convenu que je serais chargé de cette affaire. Le caissier intérieur de la Cour calculaqu'à la fin dti mois il aurait besoin de 53 000 francs. Dans la matinée du 30 mars, M. Thomas me délivra un ordre pour le paiement de cettesomme entre mes mains par M. Taulard, entreposeur de tabacs, demeurant 9, rue Dupliot. Ce ne fut pas sans peine que j'arrivai à me faire ouvrir la porte de cet employé. Quand il connut l'objet de ma visite, ils'excusa de m'avoir fait attendre et il m'expliqua qu'il s'attendaità une perquisition parce qu'il avait été dénoncé aux gens de la Commune. Il me remit toute son encaisse qui se trouva être un peu inférieureà l'ordre dont j'étais porteur, mais il m'indiqua l'adresse d'un de ses collègues, chez lequel je pourrais en trouver le complément. Je neme rappelle plus le nom de cet entreposeur; il demeurait rue de la Tour des dames, près de la Trinité. Celui- ci me donna la somme qui me manquait et il m'aida à cacher cet argent sous mes vêtements. Je me demandais, en effet, comment je passerais devant les deux factionnaires dela Commune, placés au bas de l'escalier de la Cour, sur la rue de Lille. Je savais que la veille ils avaient empêché un conseiller référendaire, M. de B..., de sortir avec une liasse de papiers qu'il avait sous le bras. Dans cette liasse se trouvaient toutes les valeurs mobilières dépendant de la succession d'un de ses oncles, décédé pendant le siège de Paris-. Ces titres ont tous péri dans l'incendie du palais d'Orsay et n'ont pu être remplacés qu'après l'accomplissement de longues et coûteuses formalités. Plusieurs autres magistrats ont perdu en mêmetemps des bijoux, de l'argenterie et des objets précieux qu'ils avaient cru prudent de cacher dans leurs cabinets du palais d'Orsay pintât que de les laisser dans des appartements particuliers, presque toujoursinhabités. Personne n'avait alors la pensée que cet immense palais duquai d'Orsay, gardé jour et nuit comme il l'était, pourrait être détruit entièrement par les flammes.Il est probable que les factionnairesavaient la consigne de ne rien laisser sortir du palais, mais qu'ils n'avaient pas reçu l'ordre de surveiller les entrées. Quoi qu'il en soit, je passai Sans aucune observation. Aussitôt arrivé dans mon cabinet, j'envoyai chercher le caissier de la Cour et je lui remis la somme qui lui était destinée. Il fit prévenir immédiatement les intéressés dese présenter à la caisse. Presque tous les traitements de mars furentpayés dans l'après-midi ou dans la journée du lendemain. La somme restée disponible fat peu importante. Mes voyages journaliers entre Versailles et Paris et vice-versa se continuèrent jusqu'au 3 avril. Ce jour-là, je rencontrai dans un restaurant de l'avenue de Saint-Cloud, où j'étais allé déjeuner, un de mes parents, le général de Courson de la Villeneuve. Il me demanda où j'allais : ± Comme tous les jours, lui répondis-je; je vais partir pour Paris. Pour Paris, s'écria-t-il. Vous ne savez donc pas que l'armée communarde est actuellement en marche surVersailles. Que vont faire nos troupes? Personne n'en sait rien. Elles sont démoralisées et désorganisées ; elles ne connaissent pas leursofficiers. Obéiront-elles à l'ordre de tirer sur les gardes nationauxparisiens quand les deux troupes seront en présence? Si elles ne le font pas, les communards seront à Versailles dans deux heures. » Les craintes que me témoignait le général de Courson se seraient peut-être réalisées si les communards n'avaient pas commis la grande faute de tirer les premiers sur un chirurgien-major qui s'était avancé au devant d'eux en parlementaire et qui fut tué sur le coup. Les troupes régulières ripostèrent à cette fusillade et la bataille se trouva ainsi engagée, Elle se termina par la rentrée clans Paris des bataillons insurgés.A partir de ce jour, 3 avril, les communications entre Versailles et Paris furent entièrement interrompues. Je ne pouvais donc plus rendre au Premier Président les mômes services qu'auparavant. Il m'accorda alors un congé pour aller chez mes parents que je n'avais pas vus depuisle mois de septembre 1869. Nous éprouvâmes une grande joie de nous retrouver après ces dix-huit mois pendant lesquels s'étaient passés de sigraves événements. Vers le milieu du mois de mai, le Premier Président m'écrivit que l'armée régulière• ne tarderait plus à entrer dans Paris et que le moment était arrivé de revenir à Versailles. J'y étais depuisquelques jours quand, le 24 mai, dans la soirée, je rencontrai monami; Armel de Wismes. Il m'accosta en me disant : ± Voulez- vous voirbrûler votre maison? » Je le regardai, ne comprenant Pas le sens de cette boutade. ± Oui, continua-t-il, le ministère des Affaires étrangères a été informé qu'une grande partie du quai d'Orsay est en feu. Moncollègue Nicola veut essayer de se rendre compte si les incendies s'étendent jusqu'à l'hôtel de sa famille, qui n'est séparé de celui où vous habitez que par les jardins de l'ambassade de Prusse. Nous allons àla terrasse de Beltevue, d'où on voit tout Paris. Venez avec nous, puisque cette catastrophe vous intéresse également. »Je suivis de Wismeset quelques minutes après nous partîmes en voiture. La nuit était trèsnoire; mais en arrivant sur la terrasse de Bellevue, tout l'horizon nous apparut éclairé par d'immenses brasiers. Une observation attentivenous permit de distinguer, au premier plan, deux foyers principaux, l'un sur la rive, droite de la Seine, allant de l'ancien ministère desfinances au palais des Tuileries, et l'autre s'étendant sur la rive gauche, le long du quai d'Ors'ay. Un vent très violent chassait vers nous d'épais nuages de fumée que traversaient de hautes et larges clartés. Jusqu'où le feu étendait-il ses ravages? Dévorait-il les maisons quinous intéressaient plus personnellement? La distance où nous nous trouvions ne nous permettait pas d'en être certains. Mais nous avions tout lieu de le craindre, puisque les palais environnants brûlaient tousà la fois. Nous sommes restés fort longtemps à contempler ce grandioseet effrayant spectacle. Pendant notre retour à Versailles, nous étions silencieux et comme absorbés dans le souvenir de cette vision terrible.J'allai rendre compte au Premier Président de ce que j'avais vu pendant cette nuit tragique. Il savait déjà que les communards, avant d'abandonner le palais d'Orsay, y avaient mis le feu, mais il ignorait quelles en étaient les conséquences. Il me demanda d'aller quelques jours quand, le 24 mai, dans la soirée, je rencontrai mon ami; Armel de Wismes. Il m'accosta en me disant : ± Voulez- vous voir brûler votre maison? » Je le regardai, ne comprenant Pas le sens de cette boutade. ± Oui, continua-t-il, le ministère des Affaires étrangères a été informéqu'une grande partie du quai d'Orsay est en feu. Mon collègue Nicola veut essayer de se rendre compte si les incendies s'étendent jusqu'à l'hôtel de sa famille, qui n'est séparé de celui où vous habitez que parles jardins de l'ambassade de Prusse. Nous allons à la terrasse de Beltevue, d'où on voit tout Paris. Venez avec nous, puisque cette catastrophe vous intéresse également. »Je suivis de Wismes et quelques minutes après nous partîmes en voiture. La nuit était très noire; mais en arrivant sur la terrasse de Bellevue, tout l'horizon nous apparut éclairé par d'immenses brasiers. Une observation attentive nous permit de distinguer, au premier plan, deux foyers principaux, l'un sur la rive,droite de la Seine, allant de l'ancien ministère des finances au palais des Tuileries, et l'autre s'étendant sur la rive gauche, le long duquai d'Ors'ay. Un vent très violent chassait vers nous d'épais nuagesde fumée que traversaient de hautes et larges clartés.Jusqu'où le feuétendait-il ses ravages? Dévorait-il les maisons qui nous intéressaient plus personnellement? La distance où nous nous trouvions ne nous permettait pas d'en être certains. Mais nous avions tout lieu de le craindre, puisque les palais environnants brûlaient tous à la fois. Nous sommes restés fort longtemps à contempler ce grandiose et effrayant spectacle. Pendant notre retour à Versailles, nous étions silencieux et comme absorbés dans le souvenir de cette vision terrible. J'allai rendrecompte au Premier Président de ce que j'avais vu pendant cette nuit tragique. Il savait déjà que les communards, avant d'abandonner le palais d'Orsay, y avaient mis le feu, mais il ignorait quelles en étaientles conséquences. Il me demanda d'aller à Paris peur surveiller le sauvetage et la mise en lieu sûr de ce qui pourrait être arraché à l'incendie. Pour cela, un laissez- passer était nécessaire. Ce fut très tarddans la soirée que le Premier Président l'obtint après de longues démarches. Je partis en voilure, le lendemain de très bonne heure. Ce futun triste voyage sur des routes désertes, où on ne voyait ni un hommeni une voiture. Même silence et même abandon dans la banlieue et dansles quartiers de Paris que je traversai. J'aperçus seulement quelquescadavres de gardes nationaux, dont la vareuse relevée cachait la figure et qui avaient été étendus sur les trottoirs, en attendant qu'on vînt les enlever. J'eus la satisfaction de constater que ma maison étaitintacte. Je demandai au concierge de loger mon cheval et ma voiture dans les dépendances de l'hôtel. Puis, sans même entrer chez moi, je medirigeai vers le quai d'Orsay. Le feu avait déjà achevé son oeuvre dedestruction. Seuls les gros murs et les escaliers de pierre étaient restés debout. Dans la grande cour intérieure, un énorme monceau de décombres se consumait lentement, en dégageant une odeur âcre et une lourde fumée. Comment un pareil édifice, si solidement construit, dont lesruines sont restées intactes pendant plusieurs années et ont été démolies très difficilement, avait-il pu être détruit d'une manière si rapide et si complète? L'explication m'en a été donnée par un des concierges, resté jusqu'au bout clans son logement, à l'entrée de l'escalierdonnant sur la rue de Lille. Pendant plusieurs jours, les communards avaient apporté dans les corridors des tonneaux contenant de la graisseou des matières explosives ; puis, dans la matinée du 24 mai, ils avaient appliqué contre toutes les portes des matelas pris dans les maisons voisines, ils les avaient arrosés de pétrole et y avaient mis le feu. Ils avaient agi de même dans les bâtiments des archives- de la Cour, situés en face du palais, au n´ 62 bis de la rue de Lille. Après depareils préparatifs, le feu se propagea facilement clans ces salles, où, sur des casiers en bois blanc, étaient classées méthodiquement toutes les pièces de la comptabilité publique de la France. De véritablescolonnes d'air chaud soulevèrent ces papiers à une très grande hauteuret le vent les transporta au loin. Il en tomba jusque dans la forêt de Saint- Germain où un président honoraire, M. Rihouet, en a souvent ramassé pendant ses promenadeS. Il m'a donné plusieurs pièces ainsi recueillies par lui, parce qu'elles portaient ma signature en qualité dechef du secrétariat de la Première Présidence. Les communards mirent également le feu à plusieurs maisons particulières de la rue de Lille,voisines du palais d'Orsay. Ces commencements d'incendie furent arrêtés à temps, sauf pour l'hôtel de Chabrot, situé au coin de la rue de Lille et de la rue de Bellechasse. Le concierge s'était empressé d'éteindre le feu aussitôt après que les communards avaient commencé à s'éloigner, mais ceux-ci, s'en étant aperçus, revinrent sur leurs pas, fuSillèrent le malheureux concierge et rallumèrent le feu qui détruisit entièrement cet immeuble. Pendant plusieurs années on a cru que rien n'avait été sauvé de ce qui se trouvait dans le palais d'Orsay. Quelques objets trèsprécieux ont pourtant échappé à l'incendie, sans que personne s'en soit douté, même pas leur inconscient sauveteur: Le chef du matériel, caissier de la Cour, était logé gratuitement, à raison de la nature de ses fonctions, dans une partie de l'entresol du palais, mais le modeste mobilier qui garnissait ce logement lui appartenait. Il avait demandé et obtenu l'autorisation d'emporter ce mobilier personnel, peu d'instants avant que l'incendie fût allumé par les fédérés. On avait jeté à la hâte, dans des voitures à bras, tout ce que contenait ce logement et, entre autres choses, plusieurs ballots soigneusement fermés dont personne n'examina alors le contenu. Ils furent plus tard rapportés dans l'installation provisoire de la Cour, au Palais-Royal, et ils y restèrent oubliés jusqu'à la mise à la retraite du chef du matériel, ein1881. Son successeur, ayant entrepris un inventaire général desobjets confiés à sa garde, fit ouvrir ces paquets. On y trouva six tapisseries anciennes, parfaitement conservées, qui avaient appartenu, avant la Révolution, à la Chambre des comptes de. Paris, avaient été attribuées à la nouvelle Cour des comptes en 1807 et avaient été transportées au palais d'Orsay, lorsque la Cour y fut transférée en 1842. Elles ne furent pas utilisées à cette époque et elles restèrent dans un dépôt'jusqu'au jour où elles furent enlevées dans les conditions que jeviens d'expliquer. La plus belle et la plus importante de ces tapisseries représente une collation servie dans un jardin à un pacha entouréde ses femmes. Elle est actuellement encadrée dans un des panneaux ducabinet du Premier Président, au palais de la rue Cambon. Dans un autre de ces ballots, on découvrit un grand portrait de Louis XVIII, peintpar Robert Lefebvre, qui avait été donné par le roi à la Cour des comptes en 1817. Cette toile, détachée de sen cadre en 1830 et déposée dans le même local que les anciennes tapisseries, eu sortit avec elles.La Cour l'a rendue, il y a peu d'années, au Mobilier national. Pour compléter la liste des objets échappés à l'incendie du palais d'Orsay, je dois encore mentionner un très beau bureau Louis XV, en marqueterie,garni de bronzes dorés, qui fut retrouvé dans un sous-sol, au milieude divers objets sans valeur. Ce meuble, resté presque intact, a subide légères réparations et a été placé dans le cabinet du Premier Président. L'effondrement du palais d'Orsay et de ses archives, l'impossibilité où on s'était trouvé de rien tenter pour sauver de l'incendie ceque renfermaient ces édifices rendaient absolument inutile ma présenceà Paris. Le Premier Président m'avait, remis une lettre pour le maréchal de Mac-Mahon, afin d'obtenir un laissez-passer, me permettant de retourner à Versailles. Je me rendis donc au palais du ministère des affaires étrangères, où se trouvait le quartier général. Je n'y étais pas entré depuis le bal donné par le comte Daru, au commencement. de 1870. Quelle différence entre l'aspect intérieur du palais pendant cettebrillante soirée et celui qui s'offrait à mes yeux en ce moment. Tousles meubles, canapés, fauteuils, bureaux, tables, banquettes étaient,appliqués devant les fenêtres pour arrêter les projectiles lancés parles batteries que les insurgés avaient installées sur les hauteurs deMontmartre et de Belleville. Au premier étage, dans une vaste antichambre, je trouvai un huissier à chaîne d'argent qui se chargea de ma lettre pour le maréchal. Après avoir attendu fort longtemps, je vis arriver un jeune officier de marine portant, sur son uniforme, les aiguillettes du service d'état-major. C'était M. Bertrand de Langsdorff, camarade de promotion d'un de mes frères à l'école navale. Je l'avais vu plusieurs fois à Brest et à Paris. Aussi je m'empressai d'aller au devant de lui. Il commença par me dire que le chef d'état- major général nepouvait pas, à soi ï grand regret, satisfaire à la demande du PremierPrésident de la Cour des comptes parce que le maréchal avait donné l'ordre de suspendre la délivrance des laissez-passer qui pourraient servir à faciliter des évasions de communards. Je fis observer à M. de Langsdorfl qu'il était à même de certifier mon identité et que, d'autrepart, la lettre du Preinier Président au maréchal justifiait pleinement la demande faite en ma faveur. M. de Langsdorff, sans insister, me pria d'attendre et,. peu de temps après, il m'apporta lui-même la piècedemandée : ± Voilà votre papier. N'en abusez pas », me dit-il en riant. Je revins chez moi très rapidement, car la journée s'avançait et j'étais pressé de repartir. flans la cour de l'hôtel, la voiture, déjà attelée, m'attendait. Je voulus pourtant voir dans quel état se trouvait. mon appartement. Le concierge m'accompagna et me prévint que je trouverais sur mon bureau un reçu, signé par le colonel qui commandait lagrande barricade construite par les fédérés à l'entrée du pont de Solférino. En effet, au verso d'une carte d'invitation à une soirée, je lus cette phrase ± Saisi chez M. de Cahu', locataire au n´ • 17 du quaid'Orsay, une ± paire de pistolets d'arçon ». ± Le lieutenant-coloneldu fer régiment de la division Eudes. ± JOSSELIN, » ± Cet officier, nie dit le concierge, m'a obligé à lui faire visiter tout l'hôtel, prétendant qu'il s'y établirait après la défaite des Versaillais et qu'il ydonnerait de belles fêtes. Quand il a vu chez Monsieur cette paire depistolets, il l'a passée à sa ceinture, malgré mes observations. J'aiobtenu seulement qu'il écrivît les lignes que Monsieur vient de lire.» Cette affaire me causa une très vive contrariété. En effet, ces pistolets, qui avaient appartenu à M. le colonel de Senneville, tué à labataillé de Magenta, m'avaient été envoyés par son neveu, M. Gaston deSenneville, auditeur à la Cour des comptes. Celui-ci, ayant entendu dire à mon frère qu'il avait cherché partout inutilement. des pistoletsd'arçon, avait eu l'aimable pensée de mettre ces armes à sa disposition pendant la durée de son séjour à Paris. Mais mou frère ne voulut pas les prendre, parce qu'elles étaient pour mon ami un souvenir de famille. Elles restèrent sur mon bureau et elles en furent enlevées commeje viens de le dire. Sur ma demande, le ministère de la guerre lit rechercher ce qu'était devenu ce colonel Josselin > mais, à mon grand regret, ses recherches n'amenèrent aucun résultat. Au moment de monter dans ma voiture, je remarquai sur le siège un cocher qui n'était pas celui du matin. En temps ordinaire, il est probable que je n'y aurais attaché aucune importance. Mais il ne pouvait pas en être ainsi après laconversation que je venais d'avoir avec M. de Langsdorff. Interrogé par moi sur le motif de sa présence, cet homme m'expliqua qu'il était loueur de chevaux et de voitures et qu'il allait visiter son matériel, envoyé par lui à Versailles au début de la Commune. Je lui déclarai queje ne pouvais pas l'emmener avec moi. Il se fâcha, me demanda si je le prenais pour un communard et invoqua le témoignage de mou cocher à l'appui . de ses allégations: Malgré tout ce qu'ils dirent l'un et l'autre, je restai inébranlable dans ma résolution. Quand cet homme fut convaincu que son insistance était inutile, il se décida à descendre dusiège de la voiture. Mon cocher reprit ses guides et me conduisit à Versailles sans autre incident. J'allai immédiatement faire au Premier Président le récit de mon voyage à Paris. Il parut stupéfait de la rapidité et de l'étendue du désastre. II commença immédiatement des démarches pour procurer à la Cour une installation provisoire. Le gouvernement lui attribua l'aile du Palais-Royal donnant sur la rue Montpensier,qu'avaient habitée, avant la guerre, le prince Napoléon et la princesse Clotilde. Ce provisoire a duré jusqu'au 16 octobre 1912
Extrait dudiscours prononcé par M. le Procureur général Privat-Deschanel a l'audience SOLENNELLE DE LA COUR DES COMPTES DU JEUDI 16 OCTOBRE 1913.
Avec M. le Conseiller référendaire de la Lande de Calan, atteint par la limite d'âge au mois de no vembre 1912, la Cour perdait un des derniers magis trats qui avaient connu l'ancien palais du quaid'Orsay. Il y était entré en 1865 comme attaché au Secrétariat de la première présidence ; le 1" sep tembre 1870, il était promu chef duSecrétariat. Pendant la guerre il accomplit vaillamment son devoir; engagé au 17´ bataillon de la garde natio nale, dans lequel il retrouvait plusieurs membres de la Cour, il servit dans une compagnie mobilisée qui fut affectée aux avant-postes dans les tranchées de Vitry et prit part aux combats livrés sous Paris, en particulier à la bataille deChampigny. Bientôt l'attendaient de nouvelles épreuves et de grandestristesses. Pendant les jours sombres de la commune, tant que restèrent ouvertes les portes de Paris, il reçut la périlleuse mission d'assurer jour nellement les relations entre la première présidence, transférée à Versailles sur l'ordre du gouvernement, et les services de la Cour restés au quai d'Orsay. A l'audience solennelle du 14 décembre dernier, M. le premier président évoquait devant vous le souvenir de cettenuit tragique pendant laquelle, des hauteurs de Bellevue, M. de Calanvoyait les flammes dévorer le palais de la Légion d'honneur, la Courdes Comptes, le Conseil d'Etat, le palais des Tuileries. N'était-il pas alors permis de douter de l'avenir ? Avec la cendre des documents amoncelés par le la beur de plusieurs générations d,e magistrats, la fumée n'emportait-elle pas dans son tourbillon un peu de la grandeur etdes espoirs de la patrie ? Cependant, au lendemain d'un tel désastre,la Cour était de nouveau au travail. Sans asile, sans archives, à l'aide de moyens de fortune, elle reprenait silen cieusement, mais avec une ardeur redoublée sa tâche traditionnelle. Ce fut un bel exemple decet effort admirable de la France, dont les malheurs n'avaient pu abattre le courage ni ébranler la foi en ses destinées. De cette oeuvre derelèvement national qui suivitnos défaites, M. de Calan fut, dans sa sphère, un des bons artisans. Pendant onze années, il dirigea le secrétariat de la première présidence, et fit face aux difficultés incessantes d'une fonction que les circons tances avaient rendue plus lourde et plus délicate que jamais. Nommé conseiller référendaire de 1' classe, en 1882, promu, vingt ans plus tard, à la première classe, il recevait, en 1908, la croix de che valier de la Légion d'honneur. Admis le25 novembre 1912 à faire valoir ses droits à la retraite, il continueà figurer dans votre annuaire en qualité de conseiller référendaire honoraire ; il vous appar tient aussi par son fils, élevé dans les traditions de droiture et de dévouement qui font les dignes ma gistrats.M. de Calan, auquel nous adressons tous nos voeux pour le prompt rétablissement de sa santé gravement éprouvée ces temps derniers, a laissé par mi vous le souvenir d'un collègue instruit, d'une conscience irréprochable, d'un jugement pondéré et d'une grande courtoisie. Il était profondément attaché à ses obligations et il eut à coeur de les remplirjus qu'au dernier jour. Qu'il me soit permis de citer un détail bientouchant dans sa simplicité : aucun ca binet n'ayant été affecté dansla nouvelle Cour à M. de Calan qui devait la quitter peu de temps après l'inauguration, il obtint du parquet la disposition d'un local où il vint régulièrement accomplir sa tâche quotidienne. Rendons à une siconstante fidélité au devoir, le juste hommage qui lui est dû dans cette enceinte, où de tout temps a été honorée la cons cience professionnelle.

-- GEDCOM (INDI) --1 NIZON FINISTÈRE 2 PLAC Trégunc, 29293, Finistère, Bretagne, France1 NIZON FINISTÈRE 2 PLAC Trégunc, 29293, Finistère, Bretagne, France

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